… un magnifique château, où vivait une princesse aimée et adorée de tous. La princesse avait tout ce qu’elle pouvait désirer: des habits somptueux, des enseignants qui lui avaient appris l’histoire, la musique, l’art et la science, des amis avec qui elle s’amusait. Mais voilà, la princesse n’était pas heureuse. Pas complètement en tout cas. Elle passait de longues heures à essayer de comprendre pourquoi, sans jamais vraiment y parvenir.

Un jour, un vieux sage s’annonça au château, en quête d’un repas et du gîte pour la nuit. Lorsqu’elle le vit, la princesse sentit quelque chose remuer au fond d’elle. Un fourmillement, comme un souvenir bien enfoui qui chercherait à refaire surface.

Alors que le vieux sage prenait son repas, elle lui demanda si elle pouvait se joindre à lui, ce qu’il accepta de bonne grâce. Et puis, il continua de manger en silence. Cependant, la princesse ne s’en offusqua point. Elle appréciait la simplicité, la joie discrète et la sérénité qui émanaient du vieux sage. Elle sentait comme un mouvement à l’intérieur d’elle-même, comme si les voiles de l’oubli se dissipaient peu à peu. Elle observait le visage de son vis-à-vis et il lui semblait qu’il se transformait peu à peu sous ses yeux. Où étaient-ce ses yeux qui voyaient différemment? Elle n’en était pas vraiment sûre, mais au fond, cela lui importait peu.

Une fois son repas achevé, le vieil homme proposa à la princesse de l’accompagner pour une balade nocturne. Ils sortirent tous deux, appréciant le calme et la douceur de la nuit, les étoiles et la lune qui brillaient dans le ciel. Ni l’un ni l’autre ne ressentait le besoin de parler. Ils profitaient simplement de ces instants de partage et de communion avec la nuit.

Après un temps qui parut à la fois très long et très bref à la princesse, le vieux sage annonça qu’il allait se coucher, car il devait se lever tôt le lendemain. Ils se souhaitèrent bonne nuit, et l’homme prit congé de la jeune fille.

La princesse, ne ressentant aucune fatigue, décida de rester encore un instant dehors. S’asseyant sur un banc, elle ferma les yeux et laissa son esprit dériver doucement. Au bout de quelques instants, elle vit apparaître une sorte de lumière dans son esprit, comme si le soleil se levait. En même temps, elle sentit une grande force l’envahir, emplissant son cœur, son ventre, sa tête, puis se répandant dans tout son corps. Son esprit devint très silencieux, et sa conscience sembla s’étirer dans toutes les directions et toutes les dimensions. Cela dura un certain temps, combien elle n’aurait su le dire. Puis la sensation s’estompa peu à peu, et subsista un sentiment de paix et de joie tel qu’elle n’en avait jamais connu auparavant. Elle resta un long moment sur le banc, savourant simplement la magie du moment. Le temps semblait s’étirer et en même temps se contracter.

Enfin, elle se leva pour rentrer au château. Alors qu’elle s’éloignait du banc, elle perçut une présence auprès d’elle. Lorsqu’elle regarda autour d’elle, elle ne vit personne, mais elle sut pourtant que c’était le vieux sage. Elle le sentait sourire avec bonté et générosité, un sourire discret relevant les coins de sa bouche. La princesse sourit en retour, puis regagna sa chambre et alla se coucher. Lorsqu’elle s’endormit, elle sut que sa vie avait été transformée à tout jamais: ce vide qu’elle avait toujours ressenti, cette sensation de manquer de quelque chose l’avait quittée, et elle savait qu’elle ne reviendrait pas. Désormais, quoi qu’il arrive, elle ne serait plus jamais seule: la présence du vieux sage l’accompagnerait sur son chemin, même après qu’il eût quitté le château, même après qu’il eût quitté ce monde… Cette présence, elle le savait, n’était pas vraiment – ou pas uniquement – celle du vieux sage. C’était celle de la Vie, du Grand Tout, du Monde avant le monde…